Façade principale du centre Mille formes, avec la typographie reconnaissable créée par Paul Cox. Photo © Azza FROSSARD CHERIF 2022
Ouvrir l’art aux plus petits et ainsi éveiller et forger leurs sens en leur offrant un espace à la fois esthétique, ludique et pédagogique, tel s’est donné pour mission le centre Mille formes. Ouvert à Clermont-Ferrand fin 2019, ce lieu unique en France s’est fait en peu de temps un nom parmi les lieux culturels incontournables pour le jeune public.
Espace parents-enfants de l’association Les Pâtes au beurre, décoré des visuels de la campagne « 1000 premiers jours ». Photo © Azza FROSSARD CHERIF 2022
La petite enfance et l’art, un lien essentiel
Des œuvres d’art pour les tout-petits ? Quelle drôle d’idée ! Mais pourquoi l’art serait-il forcément l’apanage des plus grands ? Aiguiser le regard et affiner la sensibilité dès le plus jeune âge ne permettrait-il pas de faire de nous des êtres plus à l’écoute ? Des individus capables de mieux comprendre le monde qui les entoure pour mieux y trouver sa place ? Tel est le propos défendu par Sophie Marinopoulos, psychologue et psychanalyste, dont le rapport rendu en 2019 au Ministère de la Culture sur la question de la « Santé culturelle » de l’enfant (1) a fait grand bruit. Invitée au centre Mille formes en 2022 lors de la Semaine Nationale de la Petite Enfance, elle défend ardemment l’idée d’une politique culturelle du tout-petit, afin de favoriser le lien parent-enfant, essentiel pour le bien-vivre ensemble. Car pour elle, « prendre soin des bébés, c’est prendre soin de la société ».
Invitée fidèle de l’établissement depuis son ouverture, la psychanalyste est partie prenante du projet depuis ses débuts puisque le centre d’art héberge une antenne de son association Les Pâtes au beurre, lieu d’échange pour les familles fondé en 1999. Forte de son succès, l’association a depuis étendu son réseau sur tout le territoire national.
(1) Sophie Marinopoulos, Une stratégie nationale pour la Santé culturelle – Promouvoir et pérenniser l’éveil culturel et artistique de l’enfant de la naissance à 3 ans dans le lien à son parent, rapport remis à Franck Riester, ministre de la Culture, le 4 juin 2019.
Espace café-cuisine. Photo © Azza FROSSARD CHERIF, 2022
Mille formes, fer de lance clermontois de la culture et de la famille
Car le projet, porté par le maire de la ville, est bien de « permettre aux tout-petits de découvrir l’art sous toutes ses formes, (…) en tant qu’acteurs, dans un lieu adapté à eux. » Surtout, le lieu se veut « un espace d’expérimentation dans lequel les tout-petits pourront être en contact avec la création contemporaine. Échanger, faire ensemble, observer les artistes dans leur processus de création : autant de gestes qui feront de cet espace un nouveau territoire à pratiquer et à explorer ». Le centre ambitionne aussi de devenir « un espace de ressources et de prospection sur les questions liées à l’art et à la petite enfance, permettant ainsi aux professionnels comme aux parents d’échanger sur ces sujets. »
Un projet novateur et ambitieux
Premier lieu pérenne en France d’initiation à l’art pour les enfants de 0 à 6 ans, Mille formes est né d’un partenariat entre la Ville de Clermont-Ferrand et le Centre Pompidou. Fort de son expertise en matière de médiation culturelle pour la jeunesse, l’établissement parisien était le collaborateur idéal. L’objectif de cette co-construction à la synergie d’une redoutable efficacité : « créer un espace d’immersion dans la création artistique contemporaine, d’échanges entre les enfants, les familles et les professionnels, en plaçant le travail des artistes au cœur de ce projet. »
Espaces manipulables, dispositif artistique interactif de l’artiste Eltono pour les 2-6 ans. Photo © Azza FROSSARD CHERIF
Pour la cité auvergnate, l’importance de créer un lieu dédié à l’enfance était une priorité. A travers son action « Une ville à hauteur d’enfants », elle mène en effet une réflexion profonde sur l’art et la petite enfance. Il fallait donc mettre en face de cette volonté ambitieuse une personne familière de ces problématiques. C’est donc tout naturellement que l’ancienne responsable du pôle « Prospective et nouveaux concepts » du service de médiation culturelle à Beaubourg, Sarah Mattera, a trouvé sa place à la tête de la nouvelle structure. « Il y a un véritable enjeu à confronter les tout-petits à l’art. Entre 0 et 6 ans, les enfants sont en pleine période de construction. En mettant leurs sens en éveil, en leur donnant l’occasion d’expérimenter, d’échanger, on leur apporte une autre compréhension du monde », souligne-t-elle le jour de l’inauguration.
Briques, atelier créatif de l’artiste Jan Vormann pour les 2-6 ans. Photo © Azza FROSSARD CHERIF
Un lieu unique pour mille propositions artistiques
Sa singularité, le centre d’art la puise dans son identité novatrice :
la tranche d’âge cible ;
l’implication d’artistes contemporains dans sa programmation et la réalisation de ses espaces ;
les nombreuses disciplines représentées.
Dans ce lieu où l’art est « désacralisé », les petits sont invités à découvrir les propositions d’artistes faites spécialement pour eux et partager une expérience sensorielle et esthétique avec leurs accompagnateurs, en parlant moins d’art contemporain que d’expression artistique.
En plus d’une programmation saisonnière valorisant une scène artistique contemporaine
pluridisciplinaire – arts plastiques, musique, théâtre, cirque, danse –, le centre a aussi tissé un solide partenariat avec divers lieux culturels. Ses propositions peuvent ainsi revêtir « mille formes » – expositions, ateliers, spectacles, projections – et s’installer tantôt dans, tantôt hors les murs, pour aller à la rencontre d’un large public.
A gauche : atelier Ribambelles et fresque murale participative de l’artiste OX, concepteur des vitrines de Mille formes
A droite : espace de projection « premières séances » diffusant la web-série Mon Petit Œil. Photo © Azza FROSSARD CHERIF
Une œuvre d’art totale
Œuvre d’art dédiée à l’art ? Mille formes pourrait presque se définir ainsi, tant il illustre le principe même d’œuvre d’art totale. Installé dans un ancien magasin de 700 m2, son esthétique intérieure comme extérieure a été pensée pour mettre l’artiste au cœur du projet. La conception de l’aménagement et du mobilier a été confiée à la designer Laure Jaffuel. « Mille formes » spatiales sont proposées au public : galerie, atelier, agora et petite scène, mini-musée, espace 0-2 ans, espace de projection et café-cuisine. Ni musée, ni salle de jeux, il emprunte pourtant aux deux. L’intérieur s’inspire des premières aires de jeux urbaines de l’architecte Aldo van Eyck à Amsterdam, mais aussi des principes architecturaux du Bauhaus, offrant ainsi un lieu modulable aux formes simples et aux lignes épurées. Enfin, l’artiste Paul Cox a conçu une identité visuelle efficace : son alphabet de lettres et de formes aux courbes douces et couleurs vives fait désormais partie de la signature artistique Mille formes.
Enfants jouant sous la surveillance d’adultes dans Espaces manipulables, dispositif artistique interactif pour les 2-6 ans de l’artiste Eltono. Photo © Azza FROSSARD CHERIF
« Chaque œuvre [au centre Mille formes] permet au tout-petit de construire un récit avec ses parents. Nous voulons établir des dispositifs beaux et qui invitent à l’imagination, au rêve… pour les enfants comme pour les adultes. » (S. Toprak-Denis, direction des publics, Centre Pompidou). Pari réussi !
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